dimanche 29 mars 2020

Franchir l’horizon de la pandémie[1]


Une Méditation proposée par le Père Yves BOCHATAY, cpcr (France)




            Nous ne sommes que de petits vivants, guettés par la mort… Nous en prenons mieux conscience, à l’échelle planétaire, par l’entremise du Covid 19.


            Le récit évangélique de la résurrection de Lazare par Jésus pour un supplément de vie terrestre, nous offre une percée lumineuse dans un horizon qui nous apparaît bouché, bouclé, densément obstrué et obscurci. Dans cette narration détaillée, longue et dramatique, trois morts sont évoquées et entremêlées: celle de Lazare, celle de Jésus et la nôtre, la tienne, comme la mienne.

            En remontant de Jéricho vers Jérusalem, Jésus sait bien qu’on l’y attend pour en finir avec lui. Les disciples ne manquent pas de le lui rappeler : « Récemment, les Juifs voulaient te lapider et tu y retournes ? » Arrivé sur place, devant l’immense chagrin des sœurs du défunt, Jésus ressent profondément la détresse de notre condition humaine. Bouleversé et troublé, il pleure l’ami trop tôt arraché à la vie. Il communie à la peine de la famille. Il pense à sa propre mort, si proche. Nous le voyons immergé dans nos tristesses. « Voyez, dit-on autour de lui, combien il aimait son ami ! » Mais aussi, l’on s’étonne, alors comme aujourd’hui : « Voilà le soi-disant puissant qui osait affirmer : ‘Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance’ »

            C’est que Jésus veut nous rendre capables de vivre vraiment, mais non en marge de nos peines, de nos drames, de cette pandémie, de la mort même. Au plus profond de toute détresse, qu’il porte avec nous, il donne un signe éclatant de la vie victorieuse. Il nous dit d’une voix forte : « Viens dehors ! »



            Un signe, c’est toujours une invitation à aller plus loin, ça indique une direction, ça oriente ! La résurrection, ou plutôt le réveil de Lazare pour un supplément de vie terrestre, n’est qu’une victoire provisoire sur la mort. Cependant, et c’est déjà beaucoup, un fol espoir se lève, la mort n’est plus la dalle qui écrase tout. Nous nous redressons à l’écoute de la suprême révélation qui dépasse ce simple retour à la vie : « Je Suis la Résurrection. Je Suis la Vie ! »

            Désormais, l’horizon s’ouvre tout grand ! Jésus ne ressuscitera pas comme Lazare. Ce sera une victoire totale sur la mort. L’entrée est inaugurée d’une vie ‘éternelle’, non pas tant au sens d’illimitée, mais de vie autre. Humaine, certes et toujours, mais autre, car définitivement bienheureuse ! Cette vie autre, Jésus nous l’offre, et tout de suite ! Voilà donc où s’appuyait l’affirmation : « Je suis venu dans le monde pour qu’ils vivent. » Et cette autre, proclamée au présent : « Celui qui m’écoute a la vie éternelle, il est passé de la mort à la vie. » Comme Jésus a été la ‘résurrection’ pour lui,  Il sera ‘résurrection’ pour nous. Nous le croyons, même si nous avons de la peine à voir comment Jésus est déjà ‘résurrection’. Il est ‘résurrection’ parce qu’il peut nous communiquer sa vie de ‘Ressuscité’. Quand nous buvons à cette source, à sa Parole qui nous fait vivre, nous commençons à exister comme nous existerons éternellement, en communion d’amour avec Dieu et avec nos frères, et avec toute la création transfigurée.



            Dans le récit de la Résurrection de Lazare, nous remarquons que pour Jésus, la seule chose qui compte, c’est la gloire de Dieu ! Mais pour voir la gloire de Dieu, il faut croire : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » dit-il à Marthe. Dès le début du récit, alors qu’on vient d’annoncer à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade », il dit à ses disciples : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu », c’est-à-dire pour la révélation du mystère de Dieu.  

            Non pas que la manifestation de la gloire de Dieu soit une récompense pour bien-pensants ou bien-croyants ; mais quand nous ne sommes pas dans une attitude de foi, tout se passe comme si nous laissions notre regard s’obscurcir par le soupçon, la méfiance, comme si nous mettions des lunettes sombres et ne voyions plus la lumière. La foi nous ouvre les yeux, elle fait sauter ce bandeau de la méfiance que nous avions sur nos yeux.     

            La foi en la résurrection n’est pas encore admise par tout le monde à l’époque du Christ. Marthe et Marie, visiblement, font partie des gens qui y croient. Mais, dans leur idée, il s’agit encore d’une résurrection à la fin des temps. Quand Jésus dit à Marthe « Ton frère ressuscitera », Marthe répond : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection ». Jésus rectifie. Il ne parle pas au futur, il parle au présent : « Moi, je suis la résurrection et la vie... Tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais... Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » La Résurrection, c’est pour tout de suite. « Je suis la résurrection et la vie » : cela veut dire que la mort au sens de séparation de Dieu n’existe plus, elle est vaincue dans la Résurrection du Christ. Avec Paul, les croyants peuvent dire « Mort, où est ta victoire ? » Non, rien désormais ne nous sépare de l’amour du Christ, même pas la mort.



            Ce n’est pas facile à percevoir, mais on peut l’expérimenter. La Vierge Marie et des saints sont passés, de plain-pied pour ainsi dire, d’une pure et lumineuse vie d’amour ici-bas à la plénitude éternelle. Mais nous, nous traînerons probablement jusqu’au bout une vie mêlée de mort parce que nous n’ouvrons pas assez nos vannes à la vie du Christ. Pourtant, chaque fois que le courage de l’amour et de l’espérance arrivent à vaincre en nous une métastase du péché, c’est la puissance de la résurrection du Christ qui dégage déjà d’une mort annoncée notre être de résurrection.




           



[1] Réflexion à partir des commentaires d’A. Sève et de M.-N. Thabut à propos de Jn 11, 1-45.

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